Le projet de dissolution de neuf groupes de supporters de Ligue 1 et Ligue 2 par le ministère de l’Intérieur suscite une vive controverse dans le milieu du football français. Cette mesure, qualifiée de « summum du ridicule » par certains experts, vise particulièrement cinq groupes : la Brigade Loire (FC Nantes), les Offenders (RC Strasbourg), la Légion X (Paris FC), ainsi que les Magics Fans et les Green Angels (AS Saint-Etienne). Les spécialistes dénoncent un amalgame problématique entre ultras et hooligans, mettant sur le même plan des groupes historiques de supporters et des factions aux comportements violents.
Cette initiative intervient paradoxalement dans un contexte où les incidents dans les stades avaient diminué, grâce notamment à des politiques d’encadrement plutôt que d’interdiction systématique des déplacements. Les experts pointent le risque contre-productif de ces dissolutions qui pourraient dégrader davantage les relations entre supporters et autorités, créant ainsi un terreau favorable à de nouveaux incidents.
La stratégie contestée du ministère de l’Intérieur
Depuis plusieurs semaines, le ministère de l’Intérieur dirigé par Bruno Retailleau prépare la dissolution de plusieurs groupes de supporters. Après avoir demandé aux préfets de faire remonter leurs dossiers, ce sont finalement neuf groupes qui se retrouvent dans le viseur des autorités. Cinq d’entre eux font l’objet d’une procédure imminente : la Brigade Loire, les Offenders, la Légion X, ainsi que les Magics Fans et les Green Angels de l’ASSE.
Selon une source proche du ministre, « les faits reprochés sont des violences envers les forces de l’ordre, de dégradation d’espace public, des chants à caractère homophobes ou racistes, des participations à des manifestations interdites ». Cette mesure est perçue comme disproportionnée par de nombreux spécialistes du supportérisme, qui y voient une action politique plutôt qu’une solution efficace.
Une décision prise dans un contexte d’apaisement
Le timing de cette décision interroge particulièrement les observateurs. « Je ne comprends pas. La situation s’est apaisée, avec beaucoup moins d’incidents majeurs. On est loin des incidents répétés, et pourtant on ressort des vieilles recettes dont l’inefficacité n’est plus à prouver », s’alarme Sacha Houlié, député et co-auteur d’un rapport parlementaire sur le supportérisme en 2020.
Paradoxalement, cette annonce intervient après une période où la gestion des supporters s’était améliorée, notamment grâce à l’application de plusieurs recommandations du rapport parlementaire et à une circulaire de fin 2019 qui privilégiait l’organisation des déplacements plutôt que leur interdiction. Des matchs « électriques » comme ceux de Marseille en compétition européenne avaient été « très bien gérés » grâce à cette approche.
L’amalgame problématique entre ultras et hooligans
La principale critique adressée au ministère concerne la confusion entretenue entre différents types de groupes. « Ce qui interpelle, c’est que les cinq groupes visés sont fort différents », alerte Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du monde des tribunes. « D’un côté, on a trois groupes ultras historiques, de l’autre un groupe de hooligans néo-nazis et un groupe informel cherchant les affrontements. C’est gênant de mettre sur le même plan ces groupes ».
Cette confusion entre ultras (supporters passionnés organisant l’ambiance) et hooligans (individus utilisant le football comme prétexte à la violence) témoigne d’une méconnaissance du monde des tribunes. Les experts s’inquiètent de cette approche qui pourrait s’avérer contre-productive en stigmatisant l’ensemble des supporters.
Groupe de supporters | Club | Type de groupe | Principaux reproches |
---|---|---|---|
Brigade Loire | FC Nantes | Ultras historiques | Tentative d’envahissement de terrain, fumigènes |
Magics Fans | AS Saint-Etienne | Ultras historiques | Incidents du 29/05/2022, bagarre interne |
Green Angels | AS Saint-Etienne | Ultras historiques | Incidents du 29/05/2022, fumigènes |
Offenders | RC Strasbourg | Hooligans | Affrontements violents, idéologie néo-nazie |
Légion X | Paris FC | Groupe informel | Recherche d’affrontements violents |
Le rôle social des groupes ultras
« La Brigade Loire, les Magics Fans et les Green Angels jouent un rôle important au stade mais aussi dans leur ville, et ils entretiennent des rapports de travail avec les clubs et les autorités locales », souligne Ludovic Lestrelin. Ces groupes sont impliqués dans l’Association nationale des supporters et participent à diverses actions sociales.
Les marques comme Nike, Adidas ou Puma, qui équipent les clubs concernés, pourraient également s’inquiéter de l’impact de ces dissolutions sur l’ambiance des stades et l’attractivité du spectacle. Canal+ et beIN Sports, diffuseurs de la Ligue 1, risquent de voir leur produit perdre en qualité visuelle avec des tribunes désertées ou désorganisées.
Les conséquences potentiellement contre-productives
Les spécialistes s’accordent sur le caractère contre-productif de ces dissolutions. « Dissoudre des groupes d’ultras comme la Brigade Loire, les Magics Fans et les Green Angels risque à moyen terme de s’avérer contre-productif », prévient Ludovic Lestrelin. « La dissolution dégraderait les relations entre les supporters et les autorités, et cela renforce en vérité un contexte favorable aux incidents. »
Pour le député Sacha Houlié, « avoir des tribunes construites autour d’un groupe majeur, c’est une chance, en vérité, sur laquelle les autorités doivent s’appuyer au niveau local ». Ce modèle d’organisation permettrait justement de mieux encadrer les déplacements et de limiter les risques. L’élu doute d’ailleurs de la solidité juridique des dossiers : « Dissoudre un groupe ultras pour un envahissement de terrain ou quelques fumigènes, aucun juge administratif n’estimera la sanction proportionnée aux faits commis ».
- Risques des dissolutions de groupes ultras
- Désorganisation des tribunes et perte d’interlocuteurs fiables
- Déplacements moins encadrés et potentiellement plus dangereux
- Radicalisation de certains membres face à ce qu’ils perçoivent comme une injustice
- Perte de l’ambiance caractéristique du football français
- Report des problèmes vers d’autres structures informelles moins contrôlables
Les motivations économiques et politiques
Selon une source proche du ministre de l’Intérieur, l’aspect économique entre en ligne de compte dans cette décision. « En France, les jours de match, un tiers des forces de sécurité intérieure sont mobilisées sur le football. Les Français payent des sommes colossales pour sécuriser ce sport. Or, on préfère mettre ces moyens pour lutter contre les trafics. »
Pour les ultras de Saint-Etienne, cette décision relève d' »une entreprise de communication politique, guère subtile ». Un point de vue partagé par le sociologue Ludovic Lestrelin : « Cela permet de montrer qu’on agit. Se conjugue peut-être à cela une réflexion d’ordre économique sur le coût représenté par la mobilisation des forces de l’ordre pour sécuriser les rencontres. »
L’absence préoccupante du ministère des Sports
La gestion du dossier exclusivement par le ministère de l’Intérieur pose question. « L’annonce de la procédure de dissolution interroge sur la place du ministère des Sports, pourtant reconnue par la loi Larrivé du 10 mai 2016 qui a instauré l’Instance nationale du supportérisme sous l’égide de ce ministère », rappelle Ludovic Lestrelin.
Interrogé à ce sujet, le ministère des Sports s’est engagé à se prononcer prochainement, après avoir été interpellé en commission à l’Assemblée Nationale. Cette absence de coordination entre les ministères inquiète les observateurs qui y voient un traitement purement sécuritaire d’une question qui relève aussi de la culture sportive.
Les modèles alternatifs qui fonctionnent
Sacha Houlié cite l’exemple des déplacements en Ligue des champions pour démontrer qu’une autre approche est possible : « Récemment, on a vu 3 000 Brestois aller au Parc des Princes en Ligue des champions, alors que ce n’est pas possible de le faire en Ligue 1. La seule différence, c’est que l’UEFA oblige à organiser les déplacements. »
Ce même modèle pourrait être appliqué en championnat national, comme c’est déjà le cas dans certaines villes comme Sochaux où des initiatives comme les « tickets solidaires » permettent de revitaliser l’esprit du football populaire sans générer de troubles. Les clubs de la Ligue de Football Professionnel (LFP) et l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) suivent avec attention ce dossier qui pourrait impacter significativement l’ambiance dans les stades français.
Les supporters de football représentent une part importante de la population et ne peuvent être réduits à une image caricaturale. « Il faut que les gens se posent la question : qui sont les supporters de football ? Ce n’est pas une masse de hooligans violents et avinés (…) ce sont vos parents, enfants, cousins, grands-parents même parfois… Ce sont des gens qui vont au stade pour se réunir, vivre des émotions, communier en chantant », rappelle le député Sacha Houlié.
Les groupes de supporters menacés de dissolution et leurs défenseurs continuent de dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une stigmatisation injustifiée. Cette bataille juridique et médiatique s’annonce décisive pour l’avenir du supportérisme en France et pourrait redéfinir les relations entre les autorités, les clubs comme l’Olympique de Marseille ou le Paris Saint-Germain, et leurs fans les plus passionnés.